Petite, lorsque l’envie me prenait de vouloir attraper l’un des livres rangés sur les rayonnages de la bibliothèque de mon papa, j’étais arrêtée dans mon élan par un tonitruant : « Est-ce que tu t’es lavée les mains ? ». Aucun écrit ne m’était interdit, du moment que j’avais les mains propres. Car il était inconcevable que je puisse tacher du sceau de mes grignotages une page d’un des chefs d’œuvre de la littérature universelle…
Le problème est que j’ai la même appétence pour toutes les nourritures terrestres et j’aime me sustenter un bouquin à la main. Car ne dit-on pas « dévorer un livre » au même titre qu’un plat ?
Adolescente, la lecture du « Ventre de Paris » d’Emile Zola m’avait filé les crocs à chaque page. Et je me souviens également, quelques années plus tard, de l’envie de mets japonais en lisant « Kitchen » de Banana Yoshimoto puis plus récemment avec « Le restaurant de l’amour retrouvé » d’Ito Ogawa.
Que diriez-vous d’une part de camembert avec une page de Prévert ? Lire Faulkner avec une tartine de pain au munster ? D’accompagner Henning Mankell de chocolat chaud et de brioches à la cannelle ? S’embarquer dans un roman de Joyce Carol Oates en ayant fait provision de cookies de chez Mokonuts à Paris…
Peu importe l’auteur qui de ses écrits m’emporte, vous l’aurez compris, je pourrais noircir des pages en vous faisant l’éloge d’associer lecture et becquetage.
Alors qu’aujourd’hui le temps nous est offert de pouvoir contempler à loisir les nuages, Ryōko Sekiguchi nous apprend aussi, dans « Le nuage », paru aux Editions de l’épure, qu’il y a dix façons de le cuisiner.
Cela nous est permis, profitons-en pour nous délecter de toutes les nourritures.